28.07.2016

Les rêves qu'on fait sont parfois dérisoires. À l'opposé des expériences de rêve lucide si plaisantes à raconter ou à inventer, loin de toutes les architectures en trompe-l'oeil qui se superposent subtilement à la géographie de nos chambres à coucher, et qui nous feraient parfois douter si les puissances nous dotant d'un environnement ne font pas qu'un avec celles qui nous ont pourvus d'imagination, il y a tous ces petits débris charriés dans le flux de la conscience nocturne, fragments épars qui ne s'emboîtent pas dans une intrigue, qui n'empruntent pas forcément à des éléments repérables de l'état de veille, et que souvent le réveil engloutit comme un objet mal identifié, dont le réveil porte précisément la trace comme de ces petits cailloux jetés dans l'eau, et qu'une émotion mal définie répercute aussi peu distinctement que les ondes concentriques, lesquelles se propagent aux alentours du site d'un événement déjà oublié, mais troublent l'eau, néanmoins…

Cette nuit, j'ai rêvé que j'avais tweeté à la cantonade une chose absurde. C'est une chose rare, car j'ai encore le sentiment provoqué par cet acte dénué de sens, mais aussi le souvenir de sa cause. J'avais donc tweeté à la cantonade qu'on venait de m'offrir un peu de shit. Et je demandais donc si quelqu'un avait envie de venir partager un petit joint avec moi. La police ne vint pas aussitôt après perquisitionner ma maison (et pourtant, dans un rêve, tout, même les choses de la barbarie diurne, est après tout possible). Pourtant, à peine avais-je procédé à la publication de ces quelques mots, j'en éprouvai un profond désarroi. Un sentiment de honte, un peu comme quand, j'espère que cela ne vous est jamais arrivé pour de vrai, et pourtant, on sait tous ce que cela ferait, n'est-ce pas, on est allé à l'école tout nu, qu'on a oublié de s'habiller, qu'on a mis son pantalon à l'envers, ou qu'on est sorti en pyjama… Je veux dire cette honte des rêves, des choses qui n'arrivent pas et que pourtant nous avons tous connues, n'est-ce pas, comme peut-être aussi de passer la nuit avec notre père ou notre mère, même si nous ne nous souvenons plus. On voudrait beaucoup rentrer chez soi, mais on ne peut pas, à cause de notre sexe à nu, ou de ce pyjama, ou du fichu pantalon à l'envers. Précisément à cause d'eux…

Moi, ce tweet, je n'arrivais pas à l'effacer, peut-être précisément à cause de lui, et j'en éprouvais une honte ridicule, sans doute à cause de ses lecteurs. Ce tweet, s'il étalait une forme de bêtise, c'est vrai, s'il faisait peut-être montre d'un peu trop de désarroi, quand même, quel rapport avait-il avec la pudeur fondamentale ? De là me vient maintenant le soupçon que, peut-être, à l'heure de mon sommeil, je me trouvais plus lucide qu'à présent, et que je comprenais ce que je ne sais plus déchiffrer, à savoir la classe de proposition déshonnête que je faisais à la cantonade, tout en croyant innocemment proposer de partager un fond de shit à tout un chacun, chose que, précisément, tout un chacun a déjà faite en dehors de ses rêves, et tout à fait sans honte.

Mais je ne crois pas que ce rêve s'épuise dans l'analyse. Il y a une histoire à l'endroit et à l'envers. Et je n'aurai donc pas terminé avant que d'avoir dit qu'en me réveillant, je fis premièrement, comme beaucoup de mes concitoyens, ce geste propre en particulier aux célibataires, et que je me saisis de mon téléphone portable, lequel charge chaque nuit près de ma tête de lit, afin de faire défiler sous mes yeux un peu engourdis la liste des dernières publications de mon compte twitter. Je poussai rapidement un soupir de soulagement. Je pus me rendre compte que rien de semblable à ce que je redoutais n'avais jamais été gazouillé par mon téléphone, que ma réputation sociale était, comme on dit, intacte, saine et sauve, en tout cas qu'elle n'avait pas pâti d'une maladresse douteuse de moi connue. Pas tout à fait réveillé, je pus alors me lever en titubant, et je me dirigeai vers la cuisine. Au lieu de prendre ma douche, second geste, en général, de mon quotidien plus ou moins réglé, j'eus l'envie de me faire du café et, pourquoi pas, après tout, de ne peut-être pas me doucher du tout. C'est en ouvrant le tiroir pour prendre la petite cuillère que j'ai trouvé, à côté de quelques bouchons de liège, un joint mal roulé…

Je dois dire qu'il n'est pas de mon habitude d'avoir des trous de mémoire. A en juger par la facture du bédo, la confection devait avoir été de mon fait… Jamais hôte ayant franchi le seuil de mon logis ne se serait en effet montré aussi incapable de rouler que l'auteur putatif du petit objet délictueux ! Cependant, moi, qui aurait pu en être capable, je n'avais nul souvenir de m'être livré à un tel exercice… Et si je n'avais plus la honte de savoir un message grotesque publié à mon nom, j'avais quand même la surprise de trouver dans ma cuisine un cône dont je ne m'expliquais pas la présence… Dans le doute, je décidai d'aller éprouver la porte d'entrée. Je ne fus pas surpris de constater que, comme cela m'est déjà arrivé à plusieurs reprises, même après des nuits sans rêves, elle n'était pas fermée à clef. Je la verrouillai soigneusement et, revenu vers le centre du salon, je me renversai dans le canapé pour démêler la situation.

Il y avait diverses classes de versions, la plus classique étant celle du somnambulisme. Il n'y a pas longtemps, quelques amis m'ont informé que mon appartement était situé non loin d'un plan de deal. Mais aucune de mes ex ne m'a jamais mis au courant d'un trouble aussi grave…

Il y avait une autre version, plus ontologique : ce dont j'avais rêvé s'était bien produit quelque part, et l'objet que j'avais sous les yeux avait, en quelque sorte, fait le saut d'un monde possible à un autre, je veux dire de mon appartement dans un autre monde à mon appartement dans ce monde. Le tweet n'était quant à lui pas encore apparu car il n'était pas antérieur, mais supposait la possession du joint. Sa publication, cependant, ne saurait tarder… Qui savait d'ailleurs si, à l'heure dite, je me souviendrais encore de ce dont j'avais rêvé, et saurais éviter les calamités auxquelles j'étais apparemment disposé ?

Je ne peux, enfin, pas catégoriquement rejeter l'hypothèse du trou de mémoire, mais vous comprendrez bien que cette dernière explication me laisse assez mal à l'aise.

Plus j'y pensai, plus la seconde version me sembla probante et menaçante. Elle finit par s'imposer à moi avec une évidence tellement criante que je résolus de me lever. Je laissai le filtre à café et la bouilloire à leur place, je me servis simplement un verre d'eau, et je regagnai le canapé non sans m'être muni du cône et d'un briquet. Sur deezer, je lançai la lecture du dernier album de Mashrou Leila, puis je tirai calmement la première bouffée de mon étrange apparition, en me demandant si venait de s'écouler la nuit des dons.

J'effaçais, en lentes inspirations voluptueuses, le prétexte qui aurait rendu possible l'embarrassant gazouillement… Le joint disparu, comment aurais-je seulement l'idée d'inviter qui que ce soit à venir le fumer avec moi ?

A présent que quelques heures se sont écoulées, je ne suis pourtant plus aussi tranquille. La logique des paradoxes temporels est irréfutable pour ce qui suppose des motivations. Si le monde, néanmoins, son nécessaire comme son possible, se détraquaient, qui nous préserverait de ses caprices ?

On ne se préserve pas comme cela des caprices modaux, non plus que des caprices mondains. Il me semble, néanmoins, avoir trouvé un emploi du temps sensé à mon après-midi vacant dans la rédaction de ces quelques lignes. L'heure du message de mon rêve, en effet, approche. Je ne sais pas ce qu'il en sera. S'il devait paraître en dépit de tous mes efforts, il me semble, néanmoins, que je suis paré.

Qu'y aura-t-il de plus probable ? Qu'un tel message soit le fruit de ma folie (j'inviterais les gens à fumer quelque chose que je n'ai pas ?! ), le résultat d'un dysfonctionnement ontologique (Dieu sait !), ou que je sois la victime d'un mauvais plaisant (peut-être vous ?) ?

Je vous laisse, il commence à faire faim, et je n'ai toujours pas pris mon café…

 
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